La série Missions d’OCS montre que de la SF française de qualité est possible, mais la surabondance de scènes dialoguées fait oublier la magie de la visite martienne.
Au moment de sa première mise en ligne (en juin 2017), il fallait fouiller un moment le portail de la chaîne pour trouver la série Missions, OCS City ne l’ayant pas abondamment mise en avant. Alors même que le programme avait été plutôt bien accueilli, notamment par les critiques de l’émission du Monde, « Têtes de séries », ou par Clélia Cohen qui, dans Libération, parle d’un « puzzle agréablement prévisible » (ce qui est un peu à double tranchant…).
De fait, aucune raison de rougir pour les showrunners comme pour OCS, car la série est plutôt accrocheuse, et annonce peut-être de nouvelles ambitions dans la manière d’écrire et de produire des séries en France, où s’inspirer du savoir-faire américain ne signifie pas le singer, et où la science-fiction n’apparaît plus comme un genre mineur par rapport aux fictions réalistes ou « à thèse ».
Mission possible
Ce sont des fans qui ont écrit Missions, et ça se sent. Notamment dans les références qu’ils mobilisent, même s’ils parviennent à les dépasser : Contact de Robert Zemeckis, dans la relation de l’héroïne, Jeanne Renoir, avec son père, 2001 de Kubrick pour les déplacements suspendus du vaisseau, Alien pour son intérieur et sa salle de réunion, Prometheus pour le milliardaire mourant, ou Solaris de Tarkovski pour les diverses apparitions fantastiques. Cette appropriation de la culture populaire ne se limite pas à la cinématographie, et plusieurs échanges jouent sur l’ancrage partagé entre personnages et spectateurs (un clin d’oeil à Lost, ou à la chanson Life on Mars de David Bowie). Alors que dans nombre de séries françaises les dialogues n’y font pas référence: l’évitement des marques génère alors une étrange langue locale, où on « consulte son compte sur les réseaux sociaux », pas son compte Facebook, et où on boit un soda, pas un « Coca ». Les dialogues des séries américaines ne se privent pas, à l’inverse, de faire signe en permanence vers le monde commun, à des fins de réalisme, et de placement de produits bien sûr, mais avec l’avantage de créer une familiarité immédiate avec l’univers fictionnel proposé. Le refus français de citer des marques peut d’ailleurs subtilement se contourner : j’ai souvenir d’un épisode d’une série (sans doute Les Experts), où un personnage qui voulait emprunter un ordinateur, se voit répondre « Gates or Jobs ? ».
Si on passe en revue les points très réussis de Missions, ce n’est pas pour mieux la critiquer ensuite, mais bien pour insister sur ses qualités propres : générique visuellement et musicalement envoûtant (Etienne Forget à la musique), effets spéciaux maîtrisés, bon usage des moyens à disposition, puisque la série a essentiellement été tournée à la Rochelle (et, donc, pas sur Mars…), et touche fantastique suffisamment prenante pour avoir envie de regarder l’épisode suivant sans déplaisir (pourquoi un cosmonaute russe considéré comme mort du temps de la guerre froide se retrouve-t-il sur Mars ? De quel nature est le lien particulier que Jeanne Renoir entretient avec la planète ?). Les auteurs savent que l’intérêt des space operas est de dire ce qui dépasse l’homme, en faisant d’un lieu infini et vide un « espace » capable de condenser tous les mystères, les inquiétudes et les transcendances. Capable aussi de condenser les autres temps ; et le malentendu autour d’Interstellar de Christopher Nolan touche ceux qui n’ont pas vu que la « chambre » de l’héroïne vaut aussi bien comme studio de cinéma, espace des rêves d’enfants, que point nodal dans l’espace-temps. Dans Missions, c’est moins l’espace que Mars qui sert de pont céleste entre quelques personnages terriens et diverses forces, que la première saison ne dévoile pas.
La série repose sur quelques conventions bien pratiques, comme le fait qu’opportunément tous les membres des deux équipages (un vaisseau américain rejoint le premier vaisseau), ou presque, parlent plutôt bien le français, ou que le transport de la Terre à Mars ne pose pas de problèmes particuliers. Ce qui permet, en outre, une économie radicale du récit, qui ne s’encombre pas des temps morts inévitables de tout voyage pour s’intéresser surtout à ce qui se passe une fois sur Mars. Rien n’est cédé cependant à des formes de réalisme, notamment parce qu’il n’y aura pas de miracle technique. L’ingénieur en chef n’est pas le Monsieur Scott de Star Trek, et quand des éléments du vaisseau semblent irréparables, ils le sont vraiment.
Mission impossible
D’où vient alors que Missions ne fonctionne pas complètement ? Un zeste de mauvaise foi expliquerait tous les problèmes par le fait qu’il s’agit d’une série française, et qu’il se raconte que les Français ne sauraient pas écrire une bonne série (i.e. une série américaine…). Les personnages, par exemple, sont brossés à trop gros traits. Il y a le geek amoureux transi, le capitaine débonnaire, l’Américain bourrin, l’ingénieur lâche, et l’inévitable héroïne tourmentée (les autres personnages féminins étant moins développés). Caractères figés et faiblement évolutifs, là où une écriture plus subtile leur aurait donné davantage d’épaisseur. Ce n’est pas forcément un défaut français. Alors que les épisodes durent 26mn et qu’il n’y a que 10 épisodes, on a quand même un ou deux épisodes « de transition », où le récit n’avance pas (notamment l’épisode 6, « Irène »). Le manque de rythme est peut-être, lui, un travers que l’on rencontre dans les séries françaises. Comme l’est une narration très linéaire, où le ressort de chaque flashback est immédiatement utilisé dans la scène qui suit (il ne faudrait pas perdre le spectateur).
Reste deux soucis majeurs. Le premier est que le réalisateur, Julien Lacombe, place sa caméra souvent assez loin des personnages. Avec pour effet d’instaurer une distance que rien ne vient jamais combler. Les rares plans rapprochés ne permettent pas une libre expression des émotions. Sans elles, le destin de ces deux équipages ne provoque qu’un intérêt poli. Pour ma part, j’ai regardé Missions en même temps que la dernière saison de The Leftovers, et la comparaison de la manière de filmer les émotions s’est avérée redoutable. Aux plans rapprochés bouleversants de Nora et Kevin, dans le tout dernier épisode de The Leftovers (réalisé par Mimi Leder), succédait l’agitation distante des équipages martiens, sans que jamais la mise en scène ne mettent à nu personnages et acteurs pour saisir le spectateur. Si le soin de confier la réalisation de toute une saison à un seul réalisateur est à la mode (cf. Cary Fukunaga pour True Detective), et permet à la politique des auteurs à la française de se déployer, le choix alternatif d’avoir plusieurs réalisateurs autorise aussi des variations narratives bienvenues, sans abimer l’esthétique générale. L’impression de voir les protagonistes se débattre dans un bocal est renforcé par le choix d’un (décor de) vaisseau sans hublot. La présence inhospitalière et troublante de Mars reste peu perceptible dans les scènes se déroulant en intérieur, et elle ne semble pas atteindre les humains bien terre à terre (si j’ose dire) qui passent plus de temps à s’affronter à huis clos qu’à interroger leur présence sur la planète rouge.
Dans ce même mouvement, le second souci de la série est son aspect extrêmement théâtral. On voit Mars « au balcon »… L’abondance de dialogues entre quatre murs, les entrées et sorties des personnages dans les diverses cabines du vaisseau, donne le sentiment d’assister à une pièce dramatique qui, très accessoirement, se déroulerait sur Mars. Aspect théâtral renforcé en outre par le choix d’habiller plusieurs personnages en civil, qui fait perdre de vue qu’il s’agit bien d’astronautes en mission d’exploration. Dans Star Trek, on visitait l’espace en pyjama, dans Missions c’est en gilet zip et jean ! La série est bavarde, jouée souvent théâtralement par plusieurs acteurs venus de la scène, ce qui éloigne encore le spectateur. « Elle m’a trahi une fois », dit le riche armateur du vaisseau à propos de Gemma, qui fait partie de l’équipage américain financé par un autre milliardaire, et plus tard Gemma dit : « Je l’ai trahi une fois ». Qui parle comme ça dans la « vraie vie » ? Mais dans l’espace personne ne vous entend parler…
06/08/2017
PS: On écoutera avec intérêt le podcast de Un épisode et j’arrête consacré à Missions.
Tout un post sur une série de SF sans parler de Battlestar Galactica ? 😉 En tout cas ça me donne envie de regarder un peu, même si je crains être trop critique, aimant peut-être de trop la SF (je suis parti après 20 min au ciné pour Seul sur Mars).
Mais belle comparaison avec The Leftovers. Ca me donne envie de me remettre certains épisodes.
Battlestar Galactica aurait pu tout à fait être cité aussi ! C’est surtout faute de place, et faute aussi d’une dimension politique marquée dans Missions. Seul sur Mars, c’est le récit du gars qui cultive ses patates en local…?
On peut aussi penser à Cosmos 1999, d’autant que les vaisseaux ont un air de ressemblance :
http://emmanueltaieb.fr/wp-content/uploads/2017/08/cosmos1999.jpg
Oui Seul sur Mars c’est Monsieur Patate en environnement hostile. Je peux te prêter le livre si tu veux, le film est à éviter !
Noté pour le livre !
J’avais vu le film, bien linéaire, en effet, même si la bonne humeur de Matt Damon est assez réjouissante…