Autant prévenir tout de suite les amoureux de la capitale des Alpes, ce papier ne sera que modérément enthousiaste sur Grenoble. Mais il s’agit surtout ici de restituer quelques observations après huit années sur place, et de s’interroger sur ce que peut être la forme d’une ville, son « esprit », et ses limites, naturelles ou imaginaires. Il s’agit aussi de comparer la cité à Paris ou à Lyon, donc d’autres villes ; ce qui, somme toute, n’est pas illégitime.
Trois spécificités urbaines
Grenoble est une ville qui ne fonctionne pas d’un point de vue urbain. Si sans doute la beauté ou la laideur architecturales sont une affaire de goût, ce n’est pas sur l’esthétique des immeubles grenoblois que se situe le problème. Il se situe d’abord dans la concentration de toutes les activités dans un centre relativement réduit, qui comprendrait l’hyper-centre, quelques quartiers emblématiques (Saint-Bruno, Championnet, l’Ile-Verte), et s’arrêterait au Sud avec la ligne du tram C. Cette dernière marque une limite forte, et en fait reconduit une « frontière » plus ancienne, celle des fortifications qui se tenaient là ; sans parvenir à faire quartier, comme si le tram venait lacérer toute tentative de relier les quartiers sud au centre (fonction dévolue au tram A, mais il ne passe pas partout). Le tram C relie la ville au campus et aux communes limitrophes, mais il empêche la constitution de quartiers autonomes dans le Sud de la ville (seule la rue de Stalingrad tire son épingle du jeu, mais sans folie non plus). Quant à la « banlieue », celle des rues sans commerces et des grands ensembles, elle paraît commencer juste là, dans la ville même ! Tout est donc excessivement découpé, excessivement séparé. A Grenoble d’ailleurs, il n’y a pas d’arrondissements, mais des « secteurs », comme du temps de Berlin divisé… Ambiance. Mais je ne crois pas avoir jamais entendu quelqu’un dire qu’il habitait le secteur 1 ou le secteur 2. Les découpages administratifs ne disent rien des pratiques d’appropriations locales, et ne génèrent aucun sentiment d’appartenance.
Ensuite, les flux piétonniers sont eux aussi concentrés, reprenant ces mêmes découpages. Le week-end, les visiteurs venus des alentours se ruent vers les voies piétonnes de l’hyper-centre, dans un flux continu, mais délaissent les quartiers contigus (Antiquaires, Championnet, Caserne de Bonne). Avec pour effet classique de favoriser les grandes enseignes nationales et les franchises, toutes présentes au centre-ville, et mécaniquement de délaisser les commerces indépendants, dont la fragilité est accentuée. Ces flux fabriquent une « périphérie » où beaucoup de locaux commerciaux fermés ne retrouvent pas preneurs. Les riverains disent généralement que c’est parce que le lieu est « mal placé ». Mais vu le nombre de commerces vides, on finit par se demander si ce n’est pas toute la ville qui est mal placée !
En tout cas, le samedi après-midi, le contraste entre les rues piétonnes bondées, et le peu de monde rue Lakanal, rue Thiers, ou rue du Dr Mazet, est saisissant. A cet égard, le cours Gambetta, et sans doute la place Victor Hugo, se dressent aussi comme des obstacles à traverser. Le cours Gambetta, la rue Agutte Sembat et le cours Jean Jaurès constituent autant de grandes brisures, autant d’aspirateurs à voitures, qui lacèrent la ville, et là aussi empêchent de relier les quartiers entre eux. On y ajoutera la voie ferrée, complètement en surface, avec ses ponts, ses tunnels et ses piliers. Du reste, on peut se promener place Victor Hugo sans savoir que d’autres quartiers existent, puisqu’aucun panneau municipal ne les indique, ni non plus les lieux culturels. Il faudrait un jour imaginer un façonnage des flux piétonniers qui invente un parcours en boucle de l’hyper-centre au quartier de Bonne, voire un parcours plus ambitieux qui inclurait la MC2 et le nouveau parc qui se construit devant elle (pendant longtemps, en face de ce lieu culturel, il n’y avait qu’un grand terrain vague).
Enfin, une intuition est que les architectes qui ont bâti Grenoble ont reproduit ce qu’ils avaient sous les yeux : les montagnes ! Ils ont ainsi refait à l’intérieur même de la ville la forteresse qui l’environne. En construisant des immeubles anormalement grands formant de nouvelles murailles (les trois tours de l’Île Verte, les premiers gratte-ciel de la place Condorcet, les immeubles des grands boulevards, qu’un de mes collègues appelait, avec mauvais esprit, « l’avenue du Socialisme triomphant ») ; en construisant dans le quartier Hoche des immeubles dont l’aspect rappelle celui d’une chaîne de montagnes, et qui produit des effets identiques d’enclavement, ici du quartier. Certains immeubles grenoblois donnent ainsi le sentiment d’avoir trop poussé sous l’effet d’une brutale secousse. Entre les rues immenses qui séparent les quartiers et les hauts immeubles qui les enceignent dans un second temps, difficile de trouver une quelconque harmonie urbaine. La cité paraît jalouse de son enfermement. Ainsi, la voie ferrée entre Grenoble et Lyon, abîmée et lente, censée desservir la ville est en fait ce qui l’enclave (on met 1h20 en TER pour parcourir 100km…). Il faudrait mesurer jusqu’à quel point ce relatif isolement modèle les horizons de pensée, comme les horizons de recherche. Sur ce dernier point, si le campus est très agréable et bien desservi (deux trams et des bus), il ne rayonne pas sur le centre-ville, et il n’y a ni Quartier latin, ni même un café dédié où pourraient se prolonger les discussions entamées à Saint-Martin d’Hères. L’idée, un temps, de Sciences Po Grenoble d’avoir une annexe en ville était plutôt intéressante, tant il paraît important de reconnecter le monde universitaire et le centre-ville. Il est en outre intéressant de noter que si le tram B a pour vocation nouvelle de relier deux extrêmes, le campus des sciences dures et le campus des sciences humaines, le centre entre les deux campus est faiblement pensé comme lieu de savoir.
Lignes de clivages
Cela ne semble gêner personne, comme ne gêne personne le peu de réflexion esthétique sur l’aménagement (à l’exception récente de la place Marval). Le parc Paul Mistral ressemble à une friche industrielle, certaines rues de l’hyper-centre, sans trottoirs, donnent un sentiment de désordre. Faute de stationnement en sous-sol (le sol est trop meuble), Grenoble tolère un stationnement en surface qui a disparu de nombre d’autres villes (y compris sur les trottoirs !). De jolies places sont en fait de grands parkings à ciel ouvert (place Vaucanson, place de Metz ; la place de Brulle a été récemment redonnée aux piétons). Certaines places n’en ont que le nom, d’ailleurs. La place de l’Etoile est ainsi un croisement entre deux rues. La place Championnet est un petit terre-plein ; la place Condorcet, un carrefour. Rien ne les matérialise jamais. Comme si l’installation d’une fontaine, d’une sculpture, d’un rond-point central un peu visible, était toujours hors de portée. Sans doute fait-on prévaloir la fonctionnalité à l’esthétique. Et c’est cette même fonctionnalité qui fait que les décorations de Noël sont laissées en place toute l’année, mais éteintes, et rallumées seulement pendant la période des fêtes. C’est plus économique… On notera aussi l’inesthétisme des panneaux municipaux qui ont remplacé les colonnes Morris quand la nouvelle équipe municipale, menée par Eric Piolle, a décidé de supprimer l’affichage publicitaire en ville. Cette « politique » avait d’ailleurs commencé avant l’élection, à l’initiative de quelques-uns, avec des arrachages sauvages d’affiches, y compris pour des manifestations culturelles ou des films.
A cet égard, Grenoble est une ville militante, ou peuplée de militants, une intéressante alchimie, qui sécrète des contraires se nourrissant de leur rivalité mimétique : le Commissariat à l’énergie atomique vs le désir de nature, ou encore l’innovation technologique et ses détracteurs anonymes du groupe (groupuscule ?) Pièces et main d’œuvre, qui craignent une science sans conscience.
Les deux derniers maires cristallisent la sociologie de la ville. Michel Destot (PS) était passé par Sciences Po Grenoble avant de faire des études d’ingénieur, et c’est un alpiniste chevronné, qui relate ses exploits montagnards sur son blog. Le nouvel édile, Eric Piolle (EELV) a fait également, des études d’ingénieur à Grenoble, a travaillé chez Hewlett-Packard, a monté une petite entreprise, et, lui aussi est un passionné de montagne…
L’homme et son parti ont bien travaillé lors de la campagne municipale. Alors que l’équipe socialiste, menée par Jérôme Safar, adjoint à la culture puis aux finances de Destot, et son héritier politique désigné depuis longtemps, installait un QG de campagne excentré et refermé sur lui-même, Piolle investissait un QG dans les rues piétonnes, en faisant une sorte de maison des citoyens. Son équipe a en outre tracté partout, là où Safar, apparatchik déjà « usé » avant d’avoir pris le poste, comptait essentiellement sur la tradition socialiste de la ville et le bilan sans drame de Destot. La liste ELLV-PG de Piolle a du lui apparaître inexpérimentée et bricolée (des membres d’une liste citoyenne y avaient été intégrés), et, les désaccords idéologiques (que l’on retrouve au niveau national), l’ont poussé à refuser une fusion des listes au second tour, où il était arrivé deuxième. La fibre écologiste vibrait depuis un moment, de toute façon, dans mille pratiques grenobloises. Piolle a sans doute bénéficié du vote de déçus du socialisme (local, avec le projet contesté de la rocade nord, et national), et apparemment des quartiers populaires du sud de la ville, où le PS a pâti du fort taux d’abstention, et où, murmure-t-on la judéité prétendue de Safar lui aurait aliéné des votes ; ce qui serait assez grave si c’était avéré… (pour une vision générale, on renvoie à l’analyse électorale de Simon Labouret).
Il serait difficile de démêler ce que la forme urbaine produit ou vient acter, mais toujours est-il que la ville ne fonctionne pas aussi parce que les groupes sociaux s’y mélangent peu. Les 60000 étudiants sont, par définition, un groupe de passage, qui s’installe un temps, consomme dans des lieux dédiés, ne vote pas sur place, puis s’en va ; faute d’un bassin d’emplois suffisant pour l’absorber localement. Les étudiants sont peu en contact avec les jeunes du coin, dont ceux issus des classes populaires coincés dans des quartiers périphériques. J’ai souvenir d’un épisode où une voiture immatriculée 38 déboule dans le centre-ville, musique à fond, conducteur et passager portant des lunettes de soleil et un jogging coloré, du même âge que des étudiants sur le trottoir, dont l’un dit à ses amis : « Voilà les locaux ».
Beaucoup d’ingénieurs dans la ville, beaucoup d’universitaires, mais guère de cadres, de pubeux, de travailleurs du secteur tertiaire, d’artistes aux looks fous. Pas mal de punks à chien.
Chacun ses quartiers chacun ses pratiques. Après les spectacles à la MC2, l’arrêt du tram A voit sa station bondée pour repartir vers le centre-ville, et en face sa station vide pour repartir vers la Villeneuve. La ville repose sur cette cohabitation, plus ou moins pacifique, entre des groupes qui s’ignorent en partie et se déploient dans des lieux différents. Seuls les étudiants, et les sportifs-cyclistes-randonneurs-skieurs (ça fait du monde), peuvent investir cet endroit convenablement. Mais pas le flâneur, par exemple, car on ne flâne pas à Grenoble ; du reste, la ville se traverse de part en part en 30mn… Quand Stendhal écrit « Au bout de chaque rue, une montagne », il omet de dire que la montagne arrête net la rue. Pour la première fois, j’ai connu des rues, et donc une ville, qui avaient une fin ; terme de tout parcours. La montagne incarne la verticalité, donc l’obstacle et l’effort pour monter, là où la mer incarne l’horizontalité, qui invite au voyage et à la rêverie.
Les Grenoblois disent que l’Isère n’est pas un fleuve, mais un torrent. Résultat : pas de berges aménagées sur le modèle des quais du Rhône à Lyon, pas de péniches amarrées (ce n’est pas navigable), pas d’équivalent du quartier Confluence au bout de la presqu’île. Car il y a aussi une presqu’île à Grenoble, où l’on découvre l’existence en ville d’un affluent de l’Isère, le Drac, complètement désinvesti. En fin de mandat, la municipalité socialiste a bien aménagé une petite promenade le long du quai Perrière ; mais faute d’aller quelque part, le parcours n’a pas beaucoup de sens. Dans le même coin, la jolie et mystérieuse rue Saint-Laurent, pourtant complètement refaite et semi-piétonnisée, est très peu fréquentée. Les Grenoblois ne restent pas en ville de toute façon ; ils partent en montagne. La cité paraît n’être qu’un simple bivouac, un campement, avant de s’élancer sur les sommets. Et les dimanches sont étrangement calmes quand tout le monde déserte. A Grenoble, dans les conversations, on donne l’état de l’enneigement des stations, et des infos sur l’état de la neige. En cours, les étudiants posent leurs skis le long des murs, attendant sagement que l’enseignement finisse, pour partir s’égayer. Au grand dam des responsables de l’Office du tourisme qui n’ont a montrer que la noix-de-Grenoble et les sculptures de Calder, Grenoble demeure l’antichambre des stations de skis, pour les vacanciers de passage, comme pour les habitants eux-mêmes.
L’ancienne municipalité socialiste, comme l’actuelle écologiste, s’efforcent évidemment de créer du lien, via essentiellement la remise de l’espace urbain aux habitants ; et plus récemment, une commémoration festive de la Journée des Tuiles de 1788, prodrome de la Révolution française, que le maire a inventé, sans doute pour dire que la révolution écologiste de Grenoble pourrait essaimer sur tout le territoire… Le plus souvent, il y a des foires aux antiquités, et surtout des vides-greniers. Je crois n’en avoir jamais autant vus qu’à Grenoble. Chaque quartier organise le sien, plusieurs fois pas an. Bon, clairement, ce sont des « puces », qui idéalisent une économie fondée sur le troc, mais qui disent aussi qu’économiquement les habitants ne vont pas si bien. Tout cela repose sur la croyance que ce dont on n’a plus besoin a encore une valeur marchande. Pour ma part, ça définit sans doute bien le lien qui m’unit encore à cette ville…
Si l’endroit « tient », cependant, ce n’est pas tant avec ces politiques venues d’en haut, que sous l’action des citoyens. J’ai eu parfois la sensation qu’ils avaient eu plusieurs vies (tel fromager avait travaillé dans les ressources humaines auparavant, tel boulanger était un ancien ingénieur qui a tout plaqué), qui leur donnaient une densité et un esprit d’initiative fort. J’ai vu aussi tous ceux, commerçants, restaurateurs (!), animateurs culturels et sociaux, universitaires, « inventeurs », déterminés à faire fonctionner tout ça, malgré la ville, montant une boutique de produits locaux, travaillant à faire aimer les arts, ou organisant des tables-rondes pour les publics les plus larges. Ce sont eux que j’aurai aimés.
Paris, le 28 mars 2016
Merci pour ce riche témoignage et ces éléments d’analyse qui laissent songeur. Je ne connais pas grand chose à la sociologie urbaine mais votre opposition villes de montagne (fermées, enclavées)/villes maritimes (ouvertes) plus propices à la rêverie et au voyage me semble excessive. Je ne suis pas sûre que la géographie d’une ville ait un tel effet sur le « moral » de ses habitants. Quid de tous ces randonneurs-promeneurs qui sont aussi des « rêveurs solitaires »?
Merci pour votre lecture.
L’opposition montagnes/mer est très subjective ici, et on peut effectivement faire de grandes promenades rousseauistes en montagne. C’est juste qu’il faut parfois monter…
Après, je pense quand même que la géographie d’une ville, sa sociologie, sa dynamique, la présence ou l’absence de tel ou tel groupe social a une influence forte sur les habitants.
Merci pour ce regard sévère et juste, notamment dans ce cruel (et drôle) passage sur les vide-greniers. Je réalise, en revisitant ces endroits grâce à votre post, que je n’ai jamais vraiment saisi l’agencement de cette ville, son patchwork de quartiers juxtaposés et mal connectés. Après plusieurs années, je m’y perdais encore. Mais j’appréciais l’horizon montagnard (le Parisien peut y être insensible 🙂 et la lumière du jour sur les pierres de la vieille ville. Quant à la vie politique locale, vous faites bien de laisser entendre qu’elle ressemble à la ville (comme à beaucoup d’autres microcosmes français): les agencements ad hoc prennent le pas sur la cohérence et l’élégance.
@Deli. Je suis rassuré de ne pas être seul à trouver l’agencement de la ville mal fichu et incohérent. Même si certains quartiers, comme Championnet ou Saint-Bruno, ont une certaine unité, l’ensemble donne une impression de désordre ; en particulier le centre piétonnier. En outre, je ne sais pas jusqu’à quel point certains Grenoblois ne se déplacent pas. Des voisins de l’Ile Verte m’avaient confié ne pas être allés à St-Bruno, à 2-2,5 km, depuis vingt ans ! J’espère que c’est un cas isolé.
Bien vu pour l’homologie des formes avec la vie politique ; je vais y penser…
Bravo pour cette description malheureusement réaliste de la ville de Grenoble. J’ai toujours pensé moi aussi qu’il y a avait quelque chose de raté dans cette ville sans histoire longue à faire valoir, et avec un présent plutôt médiocre. A vrai dire, le centre ville était encore pire en 2001-2006 lorsque j’habitais à Grenoble quand la place Grenette était entourée d’immeubles décatis, même pas ravalés.
Il faudrait aussi signaler que, vu depuis le site de la Bastille, la ville apparait comme s’étalant sans fin dans la vallée entre les montagnes. Ces dernières sont belles, mais la ville vue de haut est vraiment sans intérêt. Cela m’a toujours frappé que cette particularité grenobloise d’une ville de montagne sans aucun charme – à la limite le site du Touvet est beaucoup plus agréable, tout comme la petite station thermale d’Uriage. Il manque en fait des éléments de verticalité de qualité légués par l’histoire. Les trois tours des années 1970 sont surtout architecturalement nulles. Il faut dire aussi que la soupe de pollution qui recouvre la ville n’aide pas. Après je pense que, si la ville se vide le dimanche, c’est le signe que les gens sont ailleurs. Les environs valent en fait bien mieux que Grenoble. Quand j’habitais Grenoble, j’allais voir la « civilisation »(urbaine) à Chambéry ou à Annecy. C’est donc une ville qu’on apprécie d’autant mieux comme disait un collègue qu’on la quitte souvent et sans regrets, une simple base arrière pour découvrir le monde.
Par ailleurs, tu as raison sur le fait que le TER entre Lyon et Grenoble soit lent, mais cela n’est qu’un des éléments d’un enclavement bien réel. Une des erreurs a été de déplacer l’aéroport du sud vers la ville vers une très lointaine périphérie. Cela a été fait dans les années 1950 si je ne me trompe pas. En réalité, Grenoble est un cul de sac, sans liaisons évidentes avec le reste de la France ou de l’Europe. Ce que tu remarques en fait sur son relatif appauvrissement social, c’est que cette ville est en train de rater sa « métropolisation » (contrairement à Nantes par exemple ou même Angers), parce qu’elle n’a pas beaucoup d’arrière-pays ni de diversité au départ.
Sur la ségrégation sociale, c’est une des premières choses que j’ai appris sur Grenoble. Il suffit de regarder les prix de l’immobilier, caricaturalement différents entre le centre-ville et le sud de la ville. Une collègue parisienne avait acheté dans les années 1990 au sud, elle fuit la ville depuis. C’est effectivement une ville très clivée – un peu comme Marseille en fait.
Bref, je suis content de ne plus y vivre, tout en continuant à travailler sur son campus – même si « les ingénieurs grenoblois sont sympas », et même si ce sont là des propos d’un Lyonnais « métropolitain » favorisé.
@Bouillaud. Je prends tout ce que tu dis ! Je ne suis pas mécontent d’avoir échappé au centre-ville d’avant 2006, alors. J’aurais pu aussi mentionner la place Grenette parmi les places mal utilisées de Grenoble. Consacrer entièrement cette place à des terrasses de cafés et de restaurants (et pas les meilleurs) m’a toujours paru discutable. D’une façon générale, je reste frappé par le désintérêt des édiles sur les questions d’aménagement urbain, et, encore une fois, d’esthétique. Sauf la passion des tramways ! Le cas de la dernière ligne en date, la E, est exemplaire : des travaux colossaux, mais pas de réflexion sur une réhabilitation des immeubles et des commerces du Cours Jean Jaurès. Le Cours n’était pas très agréable avant, et un peu coupé de la ville, il l’est toujours après le tramway. Super opération…
Je reste aussi fasciné par la manière dont la ville se délite et s’absente dans maints endroits (cours Berriat après Saint-Bruno, vers le rectorat et le stade des Alpes, au Sud de la ligne C, etc.). Je suis allé dans beaucoup de villes françaises, et c’est la seule que je connaisse où la mairie (le monolithe) n’est pas entourée d’un véritable quartier, avec ses cafés et ses lieux de sociabilité. Etonnant.
Ce désinvestissement me paraît effectivement le signe que la ville n’est pas centrale pour ses habitants. Il faut juste qu’elle soit fonctionnelle, au minimum, car le reste se passe ailleurs. Ça peut être également, pour tous, un désir de fuir une ville qui ne marche pas. Je suis aussi allé à Chambéry et Annecy, pour avoir une architecture typique ou la présence grandiose du lac ; et à Lyon, pour être dans une « vraie » ville.
Je te suis sur le ratage de la métropolisation ; c’est une piste intéressante.
Pour ma part, j’a retrouvé le bruit et la fureur parisiens. Bizarrement, ça m’avait manqué…
Difficile en effet de flâner dans cette ville qui dispose d’un nombre d’espaces publics agréables (places notamment, mais aussi parcs) assez famélique et souvent de piètre qualité. La flânerie doit se faire hors la ville. Dommage… Notons cependant que beaucoup de lyonnais ou de parisiens voudraient pouvoir sortir aussi facilement de « l’urbain ». Après libre à chacun de se sentir oppressé ou non par les montagnes. Dans mon cas, la « finitude » de l’urbain par les montagnes apporte une forme de relaxation de l’esprit (tout n’est pas que béton) que je ne retrouve pas dans les villes de plaine (le must restant la ville côtière).
Concernant l’évolution de Grenoble, il me semble que l’ancien maire avait surtout pour ambition de créer une « nouvelle ville » (Presqu’île, Esplanade, de Bonne), à côté de la ville existante sans vraiment toucher à cette dernière hormis par toutes petites touches (un bout de quais, deux ou trois places comme Agier ou Saint-André). Et si l’autoroute urbaine des grands boulevards a disparu grâce à l’arrivée du tram C, l’effet de coupure demeure (comme tu l’indiques fort justement) : la transformation a été trop timide (maintien de contre allées notamment).
On verra bien ce que fera l’équipe actuelle, mais il est question d’enfin élargir le plateau piéton du centre et de reprendre pas mal de place à la voiture sur certains axes (Agutte-Sembat notamment). Evidemment, cela ne changera rien au fait qu’il s’agisse d’une ville sans patrimoine d’envergure et qui a « grandi » à la pire époque de l’architecture (quoique la période actuelle ne me semble guère plus féconde…). Ni à sa petite taille et à son statut de ville de passage (notamment pour les étudiants, dont l’absence se fait cruellement ressentir certains jours…). Mais s’attaquer à l’omniprésence de la voiture peut permettre de donner un contenu tout autre à l’expérience urbaine.
Paris a beau avoir le patrimoine du monde le plus éblouissant, les meilleurs restaurants, et une vie culturelle fantastique, l’envahissement de l’espace public par les moteurs (quasiment aucun espace piétonnier, des trottoirs souvent minuscules truffés de mobilier et de potelets, très peu de pistes cyclables, et par contre des avenues ou des places jusqu’à 5 voies de voitures sans compter le stationnement…) rend l’expérience urbaine très désagréable que ce soit pour le visiteur ou au quotidien pour l’habitant. Une jungle polluée, bruyante et hostile où le mot flânerie ne vaut qu’en regardant les vieilles pierres.
PS : connais-tu vraiment des villes où les groupes sociaux se « mélangent » ?
@Simon. Peut-être qu’effectivement la nouvelle municipalité a un coup à jouer dans la fabrication d’une ville où les voitures reculeraient. Ce serait conforme à sa couleur politique, et ça pourrait éventuellement donner une petite Amsterdam à la française. C’est séduisant, même si malheureusement l’architecture environnante laisse à désirer. Je crois qu’il y avait un projet de destruction du bâtiment de l’office du tourisme. Ce ne sera pas un mal ! Il y a aussi un projet de refonte des places Championnet et Condorcet ; mais ça se traine.
J’ai quand même apprécié les espaces piétonniers et les nombreuses terrasses de café sans voitures. Ça c’est un luxe que les Parisiens et les Lyonnais peuvent envier à Grenoble. Car, oui, malgré le travail continu de la municipalité socialiste, Paris reste envahie de voitures et très polluée !
Il me semblait, pour finir, que les groupes sociaux s’y mélangeaient plus (déjà, il y en a davantage), mais peut-être est-ce juste un effet de la socialisation des gens qui naissent ou grandissent là…
Tous ces commentaires sur Grenoble sont pertinents mais semblent écrits par des profs de fac lyonnais et parisiens peu informés sur comment la ville s’est construite et peu intéressés par son architecture. Je ne vais pas vous faire une visite guidée mais ne serait-ce que les immeubles art déco : il y a beaucoup plus d’exemples intéressants à Grenoble qu’à Lyon ou à Marseille (encore faut-il ouvrir les yeux…). Par ailleurs, je sais que pour beaucoup de monde y compris les gens ayant bac+10, Le Corbusier n’était qu’un immonde bétonneur et que l’Architecture c’est forcément les vieilles pierres et le gothique flamboyant… C’est vrai Grenoble s’est construite dans les années 50 : au delà des grands boulevards, au sud, c’est le fonctionnalisme qui domine, et c’est vrai, les gens les plus pauvres y habitent… mais comparé au choc des cultures quand on passe le périphérique à Paris, ça fait sourire (10000€/m² à Paris, 2500€/m² à Aulnay sous bois, un rapport de un à quatre, à Grenoble un rapport à peine de un à deux entre le centre et la périphérie). Grenoble est avec Paris une des villes les plus denses de France et les constructions en hauteur sont une nécessité pour satisfaire à la demande de logements. Les tours de l’île verte à l’époque de leur constructions étaient les plus hauts immeubles d’habitation de France et contrairement à ce qui est dit plus haut sont de très beaux exemples d’architecture moderne. J’ai visité beaucoup de villes en France et dans le monde et je peux vous assurer que Grenoble n’est pas la ville la plus moche et la plus mal organisée…
Là ou je vous rejoins plus, c’est sur le fait que la ville est peuplée largement par des ingénieurs ou chercheurs plus intéressés par la montagne que par le patrimoine de la ville. Un seul exemple : la tour Perret (je résume : première tour en béton armé en Europe (1924), classée monument historique, (le béton armé inventé à Grenoble par Louis Vicat 1840, le béton moulé expérimenté à Grenoble, ouvrez les yeux!)) est en train de se déliter, le ferraillage est à nu, les dégradations risquent d’être irréversibles… Tout le monde s’en fout… L’accès à la tour a été condamné en 1960 (les ouvertures ont été murées sauvagement pour éviter l’accès aux squatteurs). Avant, elle était ouverte au public (ascenseur panoramique, vue géniale sur les massifs…) c’est une attraction touristique majeure qui pourrait être restaurée.
@Jérôme Merci pour toutes vos remarques. Je suis complètement d’accord concernant la tour Perret, et même tout le parc Paul Mistral, qui me paraît désinvesti, alors qu’il pourrait être un bel écrin pour la ville, en jouant notamment de sa taille, et de la présence de la mairie et du stade (et de la Bobine, et du Palais des Sports…). Mais rien à faire, il semble toujours relégué au (faux) bout de la ville… Il y a des associations de quartiers très actives (par exemple dans le quartier Saint-Laurent), mais on a l’impression qu’elles se heurtent à une apathie généralisée sur ce qu’il faudrait faire de la ville. A moins que les maladresses de l’équipe municipale (fermetures/réouvertures des bibliothèques) ne remobilisent tout le monde un temps…
J’avais acheté un guide des promenades de Grenoble fait par des historiens, qui m’a été très utile. Mais le nombre de maisons ou façades Art Déco reste quand même très faible, par rapport par exemple à Barcelone. De même, le Vieux Lyon compte plusieurs centaines d’immeubles d’architecture Renaissance. Les quelques atouts de Grenoble en la matière me paraissent incomparables avec ce qu’on peut trouver ailleurs.
Pour ma part, je ne suis pas attaché aux villes-musées statufiées dans leur vieille architecture. J’ai visité des villes japonaises où on détruit/reconstruit régulièrement les immeubles, et ce n’est pas choquant. Y compris quand des immeubles jurent les uns par rapport aux autres (comme dans le front de Tamise à Londres). Ce qui compte, c’est que ça marche ! C’est qu’il y ait une harmonie entre présence humaine, quartiers permettant de faire communauté et préoccupations esthétiques. Dans une ville aussi bordélique que New York, la présence de la High Line (copiée sur la Coulée verte de Paris !) transforme les quartiers qu’elle traverse, les flux piétonniers, et les points de vue sur la ville. Bordée de chaises, de petits marchands d’art ou de nourriture, elle fonctionne très bien, et a été massivement investie. Comme quoi ce n’est pas très compliqué !
Je vous rejoins pour dire que Grenoble est une ville qu’on a envie de quitter (sortir de la cuvette polluée! : la montagne est sous nos yeux, juste entre deux immeubles) mais je pense que, proportionnellement, elle compte autant de choses intéressantes que n’importe quelle autre ville. Evidemment son centre ancien est très petit donc on ne peut pas le comparer à celui de Lyon ou même d’Annecy. C’est presque une ville nouvelle : son âme est à chercher à la Villeneuve ou sur le campus de St Martin d’Hères, pas dans le centre-ville. En cela je la comparerais plus à Brasilla qu’à Barcelone…
@jerome Le campus est plutôt vert et sympa, quoique vide la nuit. Et je connais mal la Villeneuve. Pas de coup de foudre non plus…
Je ne sais pas si ces lieux sont capables d’être des « cœurs de ville », sauf justement à penser la ville dans son ensemble, avec ses périphéries. Sans communication entre ces lieux, Grenoble restera bloqué à son petit hyper-centre…