C’est la présence de Justin Lin à la réalisation du dernier Star Trek (Star Trek Beyond/Star Trek sans limites) qui a beaucoup attiré l’attention. Car il succédait à J.J. Abrams, l’enfant gâté d’Hollywood, appelé à réaliser Star Wars. Le souci d’Abrams, sur Star Trek comme sur Star Wars, est son incapacité à imaginer de nouvelles histoires qui n’empruntent pas tout aux précédentes, et sa propension à proposer des reboots des univers qu’il reprend en charge. C’était habile dans le cas du premier Star Trek réalisé par ses soins en 2009, car l’écrasement de l’ancienne ligne de temps (celle de la série classique et de ses dérivés) par une nouvelle ligne temporelle inédite permettait de repartir à zéro et de museler les puristes en autorisant des écarts avec l’univers habituel. En gros, tout pouvait se justifier, puisque ce monde était inconnu ! Anecdotiquement, quelques critiques adressées à la première franchise, comme l’absence de ceintures de sécurité sur la passerelle, qui faisait voler tout le monde au premier échange de tirs, pouvaient ainsi être prises en compte (on peut désormais s’attacher aux sièges…). Mais le retour de Khan, méchant de la série revenu déjà dans Star Trek II (Nicholas Meyer, 1982), témoignait d’un manque criant d’imagination. A quoi bon relancer l’univers si c’était pour faire du réchauffé…?

Chris-Pine-Star-Trek-Beyond

Sortez attachés (Chris Pine)

La discussion a été identique entre connaisseurs à propos du Star Wars d’Abrams. En même temps, l’équilibre à trouver est toujours compliqué entre fidélité à ce qui fait la force d’un univers fictionnel et désir de s’en affranchir, au risque de lui faire « perdre son âme » ou de le diluer dans des gimmicks d’époque. Equilibre délicat aussi entre la satisfaction d’une fanbase hyper exigeante, mais restreinte, et la volonté de proposer un blockbuster capable de toucher le public le plus large (sachant que Star Trek fait partie de la culture populaire américaine). L’imposante campagne de pub en France laisse supposer que c’est ce dernier choix qui a été fait, tout comme, pour les Etats-Unis, le choix d’une chanson originale de Rihanna (écrite par Sia) en guise de générique de fin, avec un clip signé Floria Sigismondi qui avait notamment travaillé avec David Bowie. La franchise trekkienne entend changer de dimension, et passer de la série B au mainstream.

Dès lors, est-ce bien la succession entre Abrams et Lin qui est importante ? Sur ce treizième film, Lin fait un travail efficace, quoiqu’un peu hystérique. Toute la première partie du film va très vite, dans une narration hachée, pour arriver rapidement à ce qui en constitue le cœur : la destruction de l’Entreprise, en des séquences saisissantes, et la dispersion dramatique de son équipage. La seconde partie est plus posée, jusqu’au retour du fast et du furious, avec l’inévitable moto et la musique, diégétique (!), de Public Enemy et des Beastie Boys, dans une rencontre improbable entre l’univers posé de Star Trek et le rap du XXe siècle; alors qu’habituellement la série évitait plutôt de recourir à des éléments, musicaux ou visuels, trop historiquement situés, avec l’idée que la représentation du futur ne doit pas trop faire référence au passé.

Tout cela tranche avec certains codes antérieurs, et dévoile une écriture forte. L’essentiel ne se joue donc pas dans la présence de Justin Lin, mais dans celle de Simon Pegg au scénario ! Et le film, contrairement aux deux autres, voit la revanche du scénario, et l’élaboration d’une histoire par un geek fan de la série, fidèle à ce qui en fait la singularité. Simon Pegg, qui joue Scott dans le film, vient de la comédie trash anglaise (il était coscénariste de Shaun of the dead, Paul et Le dernier pub avant la fin du monde), où se mêlent revisite des films de genre, essentiellement de la SF, et signes vers une culture musicale et filmique jubilatoire partagée avec les spectateurs. La scène culte de Shaun of the dead où Pegg et Nick Frost veulent tuer des zombies en leur lançant des vinyls et refusent de jeter Purplerain, mais pas la B.O. de Batman par le même Prince, est là pour en témoigner.

La griffe de Simon Pegg, et sa réflexion sur la meilleure façon de faire évoluer personnages et univers, tiennent dans divers éléments scénaristiques et narratifs, et en particulier dans la noirceur qui caractérise tout le début du film, entre la nébuleuse hostile, l’attaque surprise, et l’apparition du méchant, Krall, qui se nourrit littéralement de chair humaine. Le blues du capitaine qui s’ennuie depuis des années comme explorateur spatial, est aussi une bonne manière d’introduire des failles existentielles dans le personnage de Kirk, habituellement orgueilleux et héroïque. Ça révèle aussi discrètement ce que peut être la routine accablante d’une longue mission d’exploration, quand une partie de l’équipage procède d’un ethos aventurier voire militaire. Il en va de même des interrogations identitaires de Kirk en lien avec son père ; alors que dans la série c’est Spock qui est en conflit à la fois avec son père, qui désapprouve son engagement dans Starfleet, et avec sa moitié humaine qui le confronte à des sentiments dont il ne sait que faire. Dans Beyond, on voit Spock pleurer ; manière d’humaniser encore le personnage, et de régler provisoirement son débat intérieur. Une autre bonne idée est de placer, dès le début du récit, les héros dans une situation inédite pour eux, avec la destruction du vaisseau et leur échappée sur une planète inhospitalière, qui permettent de former des paires de personnages, plus ou moins assortis, mais obligés de s’entraider. L’écho ici est fort avec ce qui constituait l’argument de nombre d’épisodes de la série : la téléportation sur une planète inconnue où le contact avec les lieux et les extra-terrestres devait entièrement s’inventer et était dangereux. Avec le problème de la langue, résolu dans les épisodes par l’usage d’un traducteur universel, qu’on voit ici exceptionnellement en cours de paramétrage pour prendre en charge un langage totalement inconnu.

Simon-Pegg-Sofia-Boutella

Wow, mon scénario est bon…
(Sofia Boutella & Simon Pegg)

A ma connaissance, la destruction intégrale de l’Enterprise, son désossement même, est une première. Dans Star Trek III, c’était Kirk qui provoquait l’auto-destruction, en y piégeant des ennemis. Et dans Generations, la séparation entre la soucoupe et le corps du vaisseau était plus ou moins gérée car l’équipage s’était réfugié à l’avant, tandis que l’arrière était abimé. Il y a dans cette pulvérisation du vaisseau-« mère » la perte d’un refuge et de son efficience technique ; quelque chose comme un dénuement qui rappelle à quelle point la conquête spatiale est tout sauf héroïque (comme le dit McCoy à la fin), et peut profondément atteindre ceux qui s’y risquent ; y compris en mutant génétiquement, ce qui arrive au personnage de Krall. Ce dernier, capitaine déchu, fonctionne évidemment comme un double négatif de Kirk qui se serait perdu, et renvoie à quelques autres capitaines devenus fous dans l’espace (dans la série classique, par exemple, l’épisode « The doomsday machine », 2×6). Et pour ceux qui cherchent la résonance politique contemporaine du film (dans Into Darkness, Khan avait été lu comme la figure de Ben Laden), Krall apparaît peut-être comme le représentant de relations internationales toujours susceptibles de basculer dans la violence, celles d’avant la création de l’ONU, ici la Fédération pacifiée des planètes unies, que le méchant, ancien soldat, trouve faible et abhorre.

Bref, si on peut bien sûr trouver que certains éléments du scénario sont moins inventifs que d’autres (il faut toujours un « méchant » identifiable, le coup des hologrammes a déjà été vu dans Total Recall, le fonctionnement des vaisseaux ennemis en ruche caractérisait déjà les Borgs dans plusieurs des séries, etc.), ce film repousse les limites de ce qu’on avait eu jusque-là dans Star Trek, et témoigne d’une inventivité science-fictionnelle forte ; à l’image de ce que Star Trek a toujours voulu être, décrivant un futur désirable, techniquement et humainement apaisé. Le scénario de Simon Pegg et Doug Jung respecte la charte historique de Star Trek – quelque chose comme : les valeurs humanistes sont sources de créativité et de victoire contre le mal –, tout en ayant un propos assez inédit qui fait évoluer les personnages. J’aime assez cette revanche des scénaristes sur les réalisateurs. N’est-ce pas justement ce qui a manqué à Star Wars le réveil de la force…?

24/08/2016