Dans la torpeur anxieuse de l’été, le visage d’Agnès Pottier-Dumas, nouvelle maire de Levallois-Perret, occupe des dizaines de panneaux d’affichage disséminés dans toute la ville. Impossible d’y échapper depuis plusieurs semaines. La campagne de présentation de soi se poursuit aussi en couverture et dans les pages intérieures du magazine municipal, avec une photo plus empesée, mais où elle apparaît cette fois ceinte de l’écharpe tricolore, et moins « casual » que sur l’image partout reproduite. Classiquement, il s’agit d’une opération de communication destinée à combler un déficit de notoriété de la nouvelle élue, héritière désavouée des époux Balkany, tauliers de la cité depuis plusieurs décennies, elle qui avait été leur directrice de cabinet (le second sur sa liste, David-Xavier Weiss, était l’ancien adjoint à la jeunesse, et on trouve d’anciens membres de l’équipe municipale parmi les « entrants »).

ne pas tourner le dos à la voiture en ville

L’élection municipale avait été un peu disputée, pour une fois, dans une configuration où les candidats avaient des étiquettes partisanes assez visibles, et des projets ; marquée simplement par la présence d’un candidat de droite « dissident », opposant de longue date de Patrick Balkany, Arnaud de Courson, et l’absence d’un candidat PS. Agnès Pottier-Dumas passe au second tour avec quasiment 46% des suffrages (soit 8291 voix), mais avec un taux d’abstention de 57%. Comme dans d’autres villes de France, l’alliance politiquement improbable de la candidate de la République en Marche, Maud Bregeon, avec Arnaud de Courson (plutôt qu’avec le candidat centriste/Mouvement Radical, Liès Messatfa) n’a pas vraiment payé. Cette liste fusionnée attrape 6016 voix, soit moins que les scores séparés au premier tour ! (6862 voix). La candidate des Républicains était difficile à éliminer (il aurait fallu une alliance des trois opposants), et visiblement le désir de continuité, la tradition clientéliste, et la logique sociologique de la ville, ont pavé la voie à la candidate des Républicains.

à la conquête du bureau

Dans tous les cas, donc, la droite se maintient au pouvoir sans coup férir à Levallois, mais l’édile souffre d’un sérieux manque de renom. Qu’elle doit, assez paradoxalement, combler après l’élection. C’est ce qui explique cette campagne inédite et le choix de photos en portrait, sur des fonds peu lisibles (un bureau sur la couverture du canard local, un fond arboré pour les affiches de rues). Il ne faut donner à voir que la nouvelle élue, qui a davantage bénéficié de son étiquette que d’un engouement sur son nom ou sur son action passée. Il faut donner à voir en même temps son nom et sa fonction, dans une style performatif qui entend marteler le résultat de cette étrange élection sous Covid.

s’afficher avec les séniors

Il s’agit surtout de rassurer les électeurs, notamment les plus âgés (auxquels on propose direct un pass sénior pour le cinéma local qui sinon est très cher, avec une place à 14€ au tarif normal…). Jusque dans le choix toujours identique des vêtements, et de leur code couleur : un haut de tailleur bleu marine sur une chemise blanche, qui avaient déjà été utilisés pour les tracts de campagne (voir ci-dessous ; l’image actuelle est probablement issue du même shooting pré-électoral). Éviter de laisser s’installer l’idée qu’avec un taux de participation supérieur, le résultat aurait pu être différent (je n’en suis pas certain, cependant), et en tout cas éviter de laisser s’installer une quelconque impression de flottement, tant il paraît délicat de succéder à Patrick Balkany, et d’incarner le renouveau alors qu’on ne fait que s’inscrire politiquement dans les pas de son prédécesseur. L’équipe municipale disparaît d’ailleurs des photographies (elle est mentionnée mais pas figurée), dans une personnalisation forte de l’action municipale, ici pour le coup dans la droite ligne de la pratique du mentor. Le programme politique pour les six ans à venir disparaît aussi de l’affiche, renvoyé dans le flou de l’arrière-plan. Et le message de l’affiche, « Bel été », est totalement dépolitisé.

photo d’un tract du second tour (là ça fait beaucoup d’APD…)

A Levallois, c’est de la pratique à l’ancienne, du « top-down », du paternalisme, la municipalité décide sans grande consultation de ce qui doit être fait, et les administrés viennent lui adresser leurs demandes. Ces portraits révèlent sans doute finalement ce qu’ils entendaient cacher : un sourire figé pour une politique statufiée.

21 août 2020